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Bonjour fiston !

 

     Je suis attablé à la terrasse d’un café. L’air est agréable. Le ciel est uniformément bleu. Bien assis dans un fauteuil en osier, je suis absorbé par la lecture d’un quotidien.

     Dans le coin de mon œil droit, j’aperçois une personne s’approchant de ma table avec détermination. Il se plante devant moi.

- Bonjour Fiston !

     Je lève les yeux. Je suis face à un inconnu qui m'interpelle. Apparemment, il croit être mon père.

- Bonjour Monsieur.

- Tu ne me reconnais pas ?

- Non, monsieur, je ne pense pas qu’on se soit déjà croisé.

- Oh Alex ! Je suis ton père !

     Comment peut-il connaître mon prénom ? Je ne suis qu’un simple employé. Je n’ai jamais été mis en avant dans une quelconque publication. Je ne suis sur aucun réseau social.

- Je m’appelle effectivement Alex, mais je ne suis pas votre fils. Peut-être votre fils et moi nous ressemblons nous fortement au point de vous tromper…

- Difficile de se tromper avec cette balafre à l’oreille gauche !

     C’est vrai, j’ai une cicatrice indélébile à cet endroit. Elle est très ancienne. Une belle chute quand j’avais treize ans. En la remarquant, il peut me faire croire à un ancien souvenir.

- Je vous assure, Monsieur, que vous devez faire erreur.

- D’abord Alex, arrête de me faire du Monsieur et de me vouvoyer.

- Il n’est pas dans mes règles de tutoyer un inconnu.

- Un inconnu ! Tu ne me reconnais donc pas ?

- Désolé, mais je ne vois pas en vous les traits d’un père que j’ai connu jusqu’à il y a quinze ans.

- J’aurais autant changé que cela ? Personne de mon entourage ne m’en a informé à ce point.

- Monsieur, mon père est décédé il y a quinze ans...

- Que me racontes-tu ?

- Une vérité attestée par une mise en bière, une cérémonie, une tombe, les pleurs et le désarroi d’une famille.

- Moi décédé ? Mais regarde-moi, je suis on ne peut plus vivant !

- Vous, oui, mais mon père, non.

- Tu permets que je m’assoie ?

- Il me semble que cela va être difficile de vous en empêcher.

     L’inconnu se saisit d’un fauteuil pour le placer face à moi. Il s’assied et se penche en avant, les avant-bras sur ses cuisses. Manifestement, il recherchait un rapprochement physique et voulait jouer l’émotion. Je plie et pose mon journal avec un énervement feint pour montrer ma désapprobation pour son attitude.

- Ecoute Alex, cela fait plusieurs années que je souhaitais renouer avec toi.

- Et mes frères et sœurs n’ont pas le droit à ces retrouvailles ?

- Arrête, Alex, tu es enfant unique ! Tu as voulu me tester ?

- Je répète ma question…

- Alex ! Ce n’est pas sympa de ta part. A moins que ta mère se soit remariée après le soi-disant veuvage ?

     Cette situation commence à me dépasser. Je suis effectivement enfant unique et il n’est pas tombé dans le panneau ! Cet inconnu est un sorcier ! Je prends quelques secondes pour tenter de comprendre l’instant présent.

- Alex, tu m’écoutes ?

- Oui, je vous écoute, et plus je vous entends, moins je comprends la situation que vous m’imposez.

- Il faut le reconnaître, j’arrive comme un cheveu sur la soupe. Je déambulais dans le quartier, avec le plaisir de flâner, à profiter de ce beau temps, de l’agréable chaleur encore supportable. Puis ton visage m’est soudainement apparu. Je me suis figé sur le trottoir à en gêner les passants. Et tu comprends, mon cœur de père s’est emballé. Rien d’autre n’existait plus que toi. En quelques secondes, tout m’est revenu de notre passé commun, ta mère, toi et moi. Tous les bonheurs de cette période éclataient dans mon corps. Alors, je ne pouvais que venir te rencontrer. Tu ne peux pas imaginer tout ce qui se passe en moi depuis quelques minutes. Je lâcherais tout uniquement pour reprendre une vie de père.

- J’entends tout ce que vous me dites. C’est magnifique pour un fils qui entendrait cela. Mais j’ai bien peur de vous décevoir : je ne suis pas votre fils.

- Alex ! Tu recommences !

- Alors, apportez-moi des preuves.

     Il a décrit ma chambre avec nombre de détails. Et il m’a narré moultes moments joyeux entre nous trois, les jeux dans le jardin, les simulations de cow-boy dans le salon, les lectures du soir, les câlins pour atténuer mes chagrins, tous ces instants de plaisir qui me permettaient de vivre en toute insouciance par le sentiment de protection auquel j’avais le droit, en imaginant que ma vie n’aurait été que des parties de plaisir… Jusqu’à ce cancer qui a été plus fort que lui…

     Tout était vrai. J’avais en face de moi un inconnu qui ne pouvait être que mon père et que je ne reconnaissais pas tant il était physiquement différent de celui que j’ai connu, tellement adoré, et rageusement regretté.

     Que m’arrivait-il ?

- Eh bien Alex, tu ne dis rien ?

- Monsieur ou Papa, que dois-je dire ? Vous imaginez bien que le ciel vient de me tomber sur la tête. Ce que vous dites est vrai et mon esprit ne veut pas y croire. Ma conscience navigue entre les deux. Où est l’arnaque ?

- Il n’y en a pas Alex. Je suis on ne peut plus sincère. Il est midi. Viens avec moi, nous allons déjeuner. Je connais le restaurant de l’autre côté de l’avenue. Il est sympa et on pourra échanger à l’aise dans un lieu neutre.

- D’accord Mons…Papa. Je te suis.

     Nous empruntâmes un tunnel sombre qui nous faisait franchir l’avenue. Et dans ces ténèbres, je me réveillai.

 

     J’étais trempé. Dans l’obscurité de ma chambre, j’essayais de reprendre mes esprits. Ce rêve me revenait par bribes. Ce n’était pas la première fois. Je pense que ce retour sur le passé heureux est la manifestation d’un regret de ne plus le vivre. Et personne avec qui le partager !

     Comme j‘aurais aimé avoir une fratrie pour évoquer ensemble cette période enchanteresse !

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