Mes écrits
Jacques LAUNAY
Le commerce d'eau de vie
A cette époque ancienne, avant l’arrivée des véhicules thermiques, les acheteurs d’eau de vie profitaient de la crédulité des autochtones pour acheter leur marchandise à vil prix.
Isidore, de passage pour quelques jours chez un ami, apprit cette pratique de ce dernier. Il lui fit savoir qu’il ne pouvait admettre ce vol manifeste de fabricants ignares du tarif réel.
Un jour, parcourant la campagne à cheval, Isidore fut abordé par un local. Il lui montrait une bonbonne d’eau de vie qu’il lui proposait au prix surbaissé habituel. La réponse de notre promeneur fut conforme à ses convictions :
- Je refuse de te l’acheter car elle en vaut dix fois plus.
- Non, messire, je te la vends trois louis.
- Si j’avais de l’argent sur moi, je te l’achèterais trente louis, pas un de moins.
- Trois louis me suffiront si tu les as.
- Je les ai, mais je me considèrerais comme un voleur de te les échanger contre ta bonbonne. Monte sur mon cheval, je t’emmène à la ville voisine où tu pourras probablement la vendre trente louis.
Bien que perplexe, il accepta. Isidore l’amena dans une taverne où il considérait qu’il s’y échangeait ce type de marchandise, à un prix probablement plus logique, espérait-il.
Sur place, il désigna un plausible acheteur à l’autochtone. Immédiatement, ce dernier lui proposa sa bonbonne d’eau de vie … pour trois louis. Evidemment, l’acquéreur potentiel s’empressa d’accepter.
Isidore fut surpris et fâché du comportement du propriétaire de la bonbonne. Néanmoins, il imagina que celui-ci, probablement inaccoutumé au négoce et craintif des situations inhabituelles, n’osait pas proposer un prix supérieur à son habituel tarif. Isidore lui proposa les dix louis qu’il avait en poche.
Les consommateurs présents commencèrent à observer cet échange singulier.
L’acheteur demanda à goûter le produit. Satisfait, il proposa 12 louis. Isidore ne pouvant de nouveau surenchérir, l’échange prit fin. L’acheteur régla et partit avec la bonbonne d’eau de vie.
Quelques observateurs présents conseillèrent à Isidore de fuir les lieux sur le champ. Interloqué, Isidore en demanda l’explication.
- Ton ami est connu, dit l’un, pour leurrer les acheteurs occasionnels : il insère une pièce de bois à l’intérieur de la bonbonne pour en réduire la contenance. Au prix où le client a acquis l’eau de vie, il va certainement revenir dans peu de temps avec la maréchaussée !
Isidore et l’autochtone partirent sans coup férir.
Quand ils furent revenus à leur point de rencontre initial, Isidore demanda où il fabriquait son eau de vie.
Celui-ci lui répondit qu’il l’achetait lui aussi à vil prix…
L’habit ne fait pas le moine….