Mes écrits
Jacques LAUNAY
Mariage blanc ?
I
Vincent m’avait invité à son mariage, mais j’ai prétexté un empêchement pour décliner. Malgré son enthousiasme débordant pour Isabelle, je ne croyais pas à la sincérité de son union. Un doute me trottait continument dans la tête.
Vincent est un fêtard et surtout la coqueluche des filles. Pas difficile pour lui : il est beau gosse et très imaginatif. Il sait captiver son auditoire féminin qui ne s’ennuie jamais avec lui. Il danse à merveille. Il a donc moulte admiratrices. Chacune aurait adoré s’unir avec lui. Mais il a choisi Isabelle. Pendant six mois, il s’est ardemment entiché d’elle jusqu’à ses noces. Il n’y avait plus qu’elle, au grand dam de toutes les autres qui semblaient ne plus exister pour Vincent, même s’il les invitait de temps en temps pour une soirée avec Isabelle. Personne ne comprenait ce choix. Chacun s’accordait à dire qu’Isabelle n’était pas la plus belle, ni la plus positive, ni la mieux habillée, ni…. Tous étaient perplexe. Très vite, elle s’est installée chez Vincent. Ils formaient le couple idéal. Elle rayonnait de joie tout en ne comprenant pas ce choix par son amoureux. Elle avait décidé d’en profiter.
Il faut dire que la situation d’Isabelle n’est pas simple. Par une malformation cardiaque à la naissance, son existence ne tient qu’à un fil. Ses parents, pharmaciens, ont usé de toute leur science et de leurs relations pour tenter d’enrayer les faibles perspectives de vie. Au moment de ses noces, son espérance de vie n’était que de quelques années. Elle l’a signalé à Vincent et à ses amies dès le départ de leur relation. Elle aussi est devenue pharmacienne pour essayer de conjurer ce funeste avenir en espérant trouver dans les recherches la chimie miraculeuse qui lui assurerait un futur plus radieux. Mais en vain à ce jour.
Alors, pourquoi Vincent a-t-il fait ce choix ? Nous nous perdons tous en conjectures. Les uns voient un réel amour confirmé par son incroyable assiduité, son regard si amoureux, ses attentions continuelles, le retour sincère d’Isabelle sur les intentions de Vincent. D’autres, dont je fais partie, connaissant ses facilités théâtrales, considèrent qu’il espère une disparition rapide pour récupérer les biens de cet enfant unique ; mais personne ne connaît le contenu du contrat de mariage.
Voilà pourquoi, dubitatif, j’avais refusé d’assister à un événement qui me semblait n’être qu’une mascarade. Mais peut-être avais-je eu tort…
II
Oui, j’avais eu tort. Isabelle et Vincent s’étaient installés près de la pharmacie familiale. Isabelle y exerçait avec ses parents. Débutante, elle y apprenait avec entrain tous les détails du métier, suivait tous les progrès possibles dans son domaine afin, peut-être, y découvrir ce qui éloignerait l’épée de Damoclès que sa malformation faisait peser sur son avenir proche. Elle ne désespérait pas. Isabelle nous disait que Vincent participait activement à cette veille technique. Cela renforçait leur amour, disait-elle, et lui donnait de l’énergie pour les activités quotidiennes de la pharmacie. Ses parents étaient enchantés de cette situation avec Vincent. Ils reprenaient espoir pour leur fille.
C’était un réel plaisir de les observer ainsi.
La chance sourit à Isabelle : un nouveau médicament allait probablement la sauver. Encore en observation avant commercialisation, elle fit son possible pour faire partie des patients test. Elle suivit le protocole imposé. Les examens successifs montrèrent la réduction progressive des conséquences de sa malformation. Quelques effets secondaires se firent sentir, telles des irritations mineures et des fatigues, bien inférieures aux bénéfices apportés par la guérison graduelle. D’autre part, des précautions d’alimentation et d’absence d’alcool s’imposaient.
Bien sûr, une surveillance périodique était nécessaire. Celle-ci montra un réel éloignement du risque initial.
Isabelle et toute sa famille se réjouissaient de cette nouvelle situation. Elle devenait le phénomène miraculeux. Ses amies, un peu jalouses à l’annonce de leur relation, devenaient de plus en plus intimes et attentionnées pour favoriser ce retournement formidable.
III
Au fur et à mesure des mois et des premières années, des disputes s’introduisaient dans le couple. Vincent, en particulier se lassait des restrictions de sorties imposées par les effets secondaires du traitement d’Isabelle, lequel accentuait aussi ses irritations. Pour compléter, Isabelle était très absorbée par son officine ouverte six jours de la semaine sans oublier les permanences dominicales. Ses parents en profitaient pour s’offrir des voyages de plus en plus fréquents et Isabelle s’ingéniait à développer son rôle de future « patronne ». L’absence d’activités festives telles qu’avant leur mariage pesait de plus en plus à Vincent. Il lui reprochait cette situation. Lui aussi s’irritait de ses moments de solitudes, n’ayant d’autres attraits que la fête.
Sur accord avec Isabelle, il voyait ses amies de temps en temps, lesquelles en informaient l’intéressée et lui rapportaient les désappointements exprimés par Vincent.
Lors d’une forte querelle, Isabelle lui demanda s’il n’avait pas conclu ce mariage avec l’espoir d’un décès rapide. Il nia fortement. Mais Isabelle douta de sa sincérité. Où se situait la vérité ? C’est vrai aussi que les faits montrent qu’ils ne sont pas réellement faits l’un pour l’autre. C’était une erreur. Mais maintenant, il faut assumer…
Alors, Isabelle confia sa suspicion à ses amies. Elles confirmèrent qu’elles y avaient aussi pensé lors de l’annonce de leur union, mais que les constats ultérieurs démontraient l’inverse. Encore une fois, où est la vérité ?
Les amies d’Isabelle questionnèrent habillement Vincent. Dans un moment de grand désenchantement, il avoua qu’il avait pensé à la fin presque programmée d’Isabelle, que, malignement, il faisait semblant de participer à la recherche des informations médicales, et qu’il avait pesté contre l’apparition du médicament miracle. Pour lui, ce mariage devait être un épisode de sa vie, sans nécessairement profiter d’un éventuel héritage. Il souhaitait juste jouir de ces moments, comme un mariage « pour voir ». Puis il avait été subjugué par le dynamisme d’Isabelle, son énergie initiale dans son activité professionnelle. Le retournement santé d’Isabelle avait tout bousculé : il ne s’agissait plus d’un épisode momentané, mais malheureusement, elle devenait apathique en dehors de son activité.
J’avais donc eu raison….
Isabelle, informée par son réseau comprit que Vincent avait théâtralisé son amour. Bien qu’elle commençait à s’en douter, la certitude fut un choc. Mais malgré tout cela, elle tenait à Vincent qui, elle en était persuadée, avait contribué à booster son énergie pour combattre sa maladie. Sans lui, elle n’existerait peut-être plus. Elle craignit qu’il s’échappe du ménage, voire aboutisse à l’obtention d’un divorce.
IV
Sa décision fut prise : elle décida à la fois de se venger en le transformant. Connaissant la composition des produits qu’elle ingurgitait quotidiennement, en experte, elle décida d’en réaliser un ersatz pour générer seulement les effets secondaires qu’elle subissait. Puis, quotidiennement, elle l’administra habilement à Vincent. Il devint ainsi apathique et il vécut les mêmes soucis physiologiques qu’Isabelle. Ses désirs de fêtes avaient disparu et elle put ainsi conserver son mariage…