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Procès divin

 

     La cour !

     L'huissier vient d'annoncer l'arrivée des trois magistrats de la Cour d'Assises accompagnés des jurés déjà sélectionnés selon la procédure habituelle. Toute l'assistance se lève puis se rassoit à la demande du président.

- Accusé, levez-vous.

- Confirmez-vous que vous êtes Dieu, né il y a 14,3 milliards d'années, résident de l'univers ?

- C'est exact Mr le Président.

- Confirmez-vous aussi que vous êtes le créateur de l'univers selon ce qui est couramment dit.

- Je le revendique, Mr le président.

- Bien vous pouvez vous asseoir. Greffier, veuillez lire l'acte d'accusation.

- Dieu, premier esprit sur cette terre est accusé, au moins sur le territoire terrestre d'avoir mal créé l'homme, à savoir un être pétri de nombreux défauts, en particulier celui de générer des conflits envers ses congénères au point d'engendrer des guerres meurtrières et des actes terroristes, parfois au nom de lui-même, ainsi que de détruire progressivement l'équilibre de la nature, étant précisé que l'homme au sens général est la seule espèce vivante sur ce territoire terrestre à agir ainsi.

- Dieu, reconnaissez-vous les faits ?

- Oui, Mr le Président

- Admettez-vous que vous auriez pu procéder autrement ?

- Oui, Mr le Président

- Et pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

- C’était ma première création. Je n’avais aucune expérience. Si l’erreur est humaine – de cela j’en sais quelque chose puisque je l’ai créé – elle est peut-être aussi divine ?

- Vous sembleriez dire que vous n’êtes pas parfait ?

- C’est l’homme qui a dit que je suis un être parfait.

- L’homme que vous avez créé !

- J’avoue qu’il m’était difficile de tout contrôler.

- Pourtant, on dit que vous savez tout, vous entendez tout.

- Encore une fois, c’est l’homme qui a voulu me voir ainsi.

- Donc vous n’avez pas réussi votre création !

- Entendons-nous. Pour l’homme, je reconnais les défaillances issues de ma fabrication. Pour le reste, je revendique la qualité de ma production.

- Diriez-vous que l’horloge de la nature tourne bien ?

- Exact Mr le Président. Je pense que je suis un bon horloger qui a fait en sorte que tout, hormis l’homme, hélas, soit correctement équilibré. Les faits sont là. Pendant les plus de 4 millions d’année de la terre, celle-ci a toujours cherché à être un lieu d’accueil pour toutes les espèces vivantes, faune et flore, avec de temps en temps des glaciations, ou la disparition de dinosaures et de mammouths devenus trop encombrants, telles une remise à zéro qui s’imposait, à chaque fois sans intervention humaine.

- Vous voulez dire que l’arrivée de l’homme a créé des désordres ?

- Tout à fait. Au début, cela ne se voyait pas. Tant que la population humaine était faible et n’avait pas imaginé la forte industrialisation constatée depuis le 19e siècle, les ressources de la terre restaient quasi intactes. Mais leur utilisation a généré des dégâts, peu perceptibles au démarrage, puis devenus visiblement gênants dans le troisième tiers du 20e siècle.

- Ainsi, selon vous, l’homme a agi industriellement de façon néfaste sans le savoir, puis a continué malgré la connaissance des méfaits ?

- Je ne dirais pas autrement, Mr le Président.

- Et vous vous en sentez responsable ?

- J’en suis obligé puisque l’homme est l’objet de mes créations.

- Vous n’avez pas essayé de corriger vous-mêmes la pente dangereuse ?

- Si bien sûr ! Un fois par exemple avec le déluge. Mais personne n’avait compris.

- C’était cruel d’engloutir des êtres humains et des animaux ! Vous étiez vraiment l’artisan de ce désastre ?

- Il fallait le considérer comme un investissement qui permettait cette remise à zéro en ne sauvant qu’une famille irréprochable.

- Quand on voit le résultat, étiez-vous sûr de la qualité de cette famille ?

- Oui je l’étais. Je l’avais longuement surveillée. Mais cela n’a pas empêché que la dégradation humaine opère de nouveau.

- Les gênes étaient donc en place dès la genèse de la genèse, si je puis m’exprimer ainsi. Et cette phase était bien de votre ressort !

- Je l’avoue. J’ai bogué…

- Sur quel élément de votre conception pensez-vous avoir bogué ?

- Je crois que c’est au niveau du logiciel implanté dans le cerveau.

- Logiciel ?

- Je ne vous apprendrai pas, Mr le Président, que pour chaque être vivant, le cerveau est un immense réseau de neurones qui interagissent par des milliards de milliards de connexions. Parmi les résultats de ces connexions, il y a celles qui définissent la position de l’être vivant dans son environnement. Elles contribuent ainsi à l’équilibre par les ressentis de forces et de faiblesses de chacun au regard des autres et par le sentiment d’utilité pour l’équilibre global. Pour l’homme, je pense que j’ai trop exagéré les paramètres en termes de forces et minimisé ceux de ses faiblesses et de son utilité.

- Un raisonnement qui semble se tenir…

- Et prouvé par le résultat !

- C’est pour cela aussi que vous avez envoyé au casse-pipe votre fils engendré par un esprit dit « saint » dans le corps d’une vierge ?

- Effectivement, Mr le Président. J’avoue que j’y croyais dur comme fer. Je lui ai donné la capacité d’effectuer des miracles pour attirer l’attention sur lui. Grâce à cela, il pouvait donner des conférences, mais avec les moyens de transport de cette période, celles-ci n’étaient diffusées que dans la région restreinte de la Palestine de l’époque. Hélas, je m’y suis pris trop tard. Le mal était déjà bien implanté et mon fils spirituel s’est confronté à de nombreux opposants. Et puis il n’a pas eu le temps nécessaire pour suffisamment convaincre au point que Ponce Pilate a préféré plaire à ses détracteurs pour le crucifier.

- Certains ont quand même relayé sa parole. Jean, Mathieu, Luc et Marc. Pierre, celui qui vous avait renié, a quand même créé une maison mère à Rome d’où est parti un courant qui s’est bien répandu avec des succursales dans tous les villages, du moins en France, et avec le slogan astucieux « Aimez-vous les uns les autres ». N’était-ce pas une réussite ?

- Vous voulez m’être agréable, Mr le Président, et je vous en remercie. Mais avec quel résultat ? Tout cela s’est réalisé avec le même logiciel cervical de l’homme. Un exemple simple : les bâtisseurs de cathédrales ne pensaient qu’à avoir la plus haute, la plus longue, la plus large… C’était une attitude orgueilleuse ! Un autre exemple, objet de vos réquisitions : combien de guerres ont été menées en mon nom ? Pourquoi ces querelleurs ne toléraient pas d’autres systèmes de pensée, de religion ? Personnellement, je n’ai jamais été opposé à une quelconque autre religion qui prône la valeur humaine, la tolérance, le respect des autres ! Mais l’homme, lui en a décidé autrement. Franchement, Mr le Président, le maître a été dépassé par ses mauvais élèves.

- C’est vous qui nous aviez divisé pour mieux assurer votre règne, avec la destruction de la Tour de Babel et la séparation des hommes par l’institution de langues différentes.

- C’est exact, Mr le Président. Ils étaient tous unis pour la construction de la tour. Craignant qu’ils atteignent mon niveau, j’avais le moyen de briser leur union pour éviter qu’ils ne procèdent à une seconde tentative. Depuis, ils se combattent imbécilement. Je crois que c’est ma plus grosse erreur. Je désire très humblement m’en excuser.

- Mais dites-moi, Dieu, vous vous faites le procureur de vous-mêmes !

- Dans mes commandements, il y a l’interdiction de mentir…

- Je reconnais là votre souci d‘honnêteté.

- Un souci que l’homme n’a même plus pour lui-même !

- Qu’en est-il de l’avenir ?

- La question est douloureuse. Je n’ai aucune confiance dans le rétablissement d’une situation plus humaine.

- Qu’imaginez-vous ?

- Je ne contrôle plus rien. Je pense que la cupidité entrainera des retards dans les actions que certains souhaitent mener pour réduire la dégradation globale. Cela créera des déséquilibres immenses imposant des mouvements monstrueux de population, des appauvrissements de ressources vitales. Tout cela va générer des conflits de survie entrainant de furieuses guerres cruelles et destructrices.

- De tout cela, vous vous considérez toujours responsable ?

- Toujours autant, Mr le Président.

- En tant que procureur de vous-mêmes, quelles réquisitions proposez-vous ?

- La prison ne peut convenir à ma nature éthérée : il me serait très aisé de m’en échapper. Sans compte en banque, une pénalité financière n’est pas possible. Alors, pour ne plus tergiverser, je propose un déluge (sous une forme à définir) plus violent que le premier, anéantissant l’homme sans affecter les autres espèces. Puis, je propose de recréer une autre espèce humaine.

- Comment vous y prendriez-vous pour ce dernier point ?

- Il me semble que je commencerais par créer la femme reproductrice qui engendrerait et éduquerait elle-même le premier homme, puis, plus tard, quelques suivants qui seraient leurs enfants. La femme serait la cheffe de famille et gèrerait celle-ci selon l’esprit de sagesse féminine. Je n’oublierais pas non plus d’anéantir les serpents…

- Bien ! La séance est close. Verdict dans quelques millénaires…

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