Mes écrits
Jacques LAUNAY
Travaux menuisiers
La grand-mère git sur un lit au fond de la pièce. Par la fenêtre, elle observe les allées et venue de son fils. Sa bru la veille, assise bien droite sur une chaise. Elle tricote un pull pour son mari et jette régulièrement un regard inquiet sur sa belle-mère.
On entend les enfants jouer à l’extérieur sous le soleil radieux. Parfois, ils pénètrent dans la pièce pour étancher leur soif, et leur mère leur demande d’être silencieux pour ne pas importuner leur grand-mère.
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Que fait mon fils ? Je l’entends depuis ce matin s’acharner dans l’atelier.
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Oh, il bricole un peu, la mère.
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Je ne l’ai jamais entendu autant bricoler.
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Il a des choses à réparer.
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Il ferait mieux de s’occuper de son jardin par ce beau temps. Il croit que je ne vois plus rien ? Que je n’entends plus rien ? Je suis peut-être mal en point, mais j’ai l’intention de tenir longtemps encore.
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Ne vous fatiguez pas, la mère, votre faiblesse vous a fait chuter hier. Vous nous avez fait peur.
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Oh pour moi, c’est l’inverse. Vous aimeriez bien que je passe l’arme à gauche ! Eh bien ce n’est pas pour maintenant !
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Restez calme, ce n’est pas bon pour vous de vous énerver.
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Et qu’est-ce que tu as à me regarder comme cela ? Comme s’il fallait vérifier si je respire encore !
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Vous vous faites des idées. Vous allez bien. C’est juste un mauvais passage.
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Menteuse ! je suis sûre que tu me trouves mal en point !
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Aujourd’hui, c’est vrai. Je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur.
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Menteuse encore ! Ah le voilà qui se remet à scier. Mais qu’est-ce qu’il fabrique ?
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Il faut réparer le toit.
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Le toit ? Quelle idée. Au dernier orage, aucune goutte de pluie n’est tombée à l’intérieur !
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Ce ne sont pas les tuiles, mais la charpente qu’il faut réparer.
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Et maintenant, il ponce ! On ne ponce pas une charpente !
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Allez, je vais vous dire la vérité. Il fabrique une armoire pour les vêtements des enfants.
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Tu vois, tu es une menteuse ! Et je dois te croire ?
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Les enfants grandissent et il leur faut des habits pour l’école.
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Et celle qui est dans le grenier ? Ah tient, maintenant, il cloue ! Jamais je ne l’ai vu faire de la menuiserie aussi longtemps.
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Elle est pourrie.
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Faux ! Elle était en bon état quand j’y suis montée il y a trois semaines.
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Calmez-vous la mère, vous vous faites du mal.
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C’est toi qui me fais du mal avec tes mensonges. Et il vient d’où le bois ?
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Il est allé le chercher hier.
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Avec de l’argent qui ne pourra plus servir à la ferme !
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On en avait d’avance. Il faut aussi s’occuper des petits.
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Dis-donc, je crois qu’on sent de la peinture.
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Il doit certainement peindre l’armoire.
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De la peinture qu’il a achetée. Encore une dépense qui ne sert à rien !
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A l’odeur, j’ai l’impression que c’est autre chose que de la peinture.
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C’est de la lasure.
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Alors c’est fait pour l’extérieur !
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Il fait humide dans la maison.
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Tous les autres meubles n’ont pas de lasure et ils se tiennent bien !
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Maintenant on fait comme cela.
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Ah, parce qu’il a acheté du mauvais bois !
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J’en doute.
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Alors cela a dû coûter cher ! Vous dilapidez mon argent.
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C’est celui de son travail.
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Je viens de le voir passer. Mais dis donc, ce qu’il transporte est haut et étroit, c’est une horloge comtoise qu’il a fabriquée !
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Il a fait avec ce qu’il a.
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En tout cas, tu ne pourras pas mettre beaucoup d’habits dedans !
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Calmez-vous, la mère. On dirait que vous délirez.
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Je ne délire pas, je suis contrariée…
Quelques heures plus tard, le cœur de la mère lâcha comme l’avait prédit le docteur hier lors de son passage.
L’objet des travaux de menuiserie fut installé sur la table de la cuisine et on y allongea la grand-mère…