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CUEILLIR LA LUNE

   Je me promenais nuitamment dans une lande parsemée de nombreux étangs. Dans chacun d’entre eux, je voyais la lune. Cela m’intriguait car je croyais qu’il n’y avait une seule lune. Mais que diable, pourquoi y en avait-t-il autant ? Au regard de toute cette quantité, je me disais qu’en dérober une ne devrait porter aucun préjudice. D’ailleurs, qui me verrait dans cette nuit presque noire, d’un gris bleu sombre très prononcé ? Personne ne s’apercevrait de mon larcin.

   Mais comment cueillir une lune nageant dans un étang ? Je me promenais sans attirail. Je n’avais évidemment pas de canne à pêche. Je partis alors à la recherche d’une branche, suffisamment longue pour atteindre l’objet de ma rapine. J’en trouvais une parmi les nombreuses tiges s’élevant d’un têtard. Celui-ci était à ma hauteur. A force de pliages répétés, elle finit par se briser et je pus m’en emparer. Après un effeuillage complet, elle devenait l’outil qu’il me fallait, bien assez rigide pour son usage éphémère.

   Je me dirigeais donc vers l’étang le plus proche. Une belle lune, bien ronde et laiteuse y nageait. J’abordais le bord de l’eau avec les précautions nécessaires pour ne pas m’enfoncer dans le sol spongieux. Puis cherchant à maîtriser mes gestes, je tendais la branche au-dessus de l’eau. J’en approchais le bout vers la lune. Mais à peine avait-il touché la surface que celle-ci se mit à frissonner (non pas du froid de la nuit, mais lors de l’introduction de mon outil dans l’eau) puis la nappe se mit à onduler depuis le point d’impact.

Alors, la lune se déforma en zébrures circulaires, quittant sa belle rondeur initiale. J’avais perdu la lune que je souhaitais dérober. Déçu, je me détournais de cet étang pour aller vers un autre, toujours muni de ma branche.

   Dans l’étang suivant, je trouvais de nouveau une lune d’une rondeur parfaite, comme la précédente. Elle me plût, comme sa collègue. Avec ma branche, je tentai de la saisir, comme la précédente. Là aussi, l’eau décida d’ondoyer et d’altérer l’objet de ma convoitise.

Il me fallut aller voir un troisième étang, puis un quatrième, puis un cinquième… J’en fis autant que je pus toute la nuit, mais en vain. Dans chaque étang, la lune se transformait en formes indésirables.

   A l’aurore, je dus me rendre à l’évidence de l’impossibilité de cueillir une lune. Je rentrais alors chez moi, penaud comme un pêcheur aux espérances détruites.

Finalement, j’en vins à la conclusion qu’une seule lune peut être cueillie. Mais celle-ci est bien trop loin…

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