top of page

LA FONTAINE EN PROSE

 

LA CIGALE ET LA FOURMI

La cigale adore chanter l’été. Du matin au soir, elle emplit l’air de ses stridulements. Elle cesse de se manifester lorsque l’automne apparaît et que le froid se présente. Mais son tour de chant estival ne lui laisse pas de temps pour ensiler suffisamment de provisions pour l’hiver.

Ce n’est pas le cas de la fourmi qui ne cesse de s’activer pour engranger de la nourriture dans sa fourmilière et posséder suffisamment de victuailles pour la période glaciale où il lui sera difficile de glaner quoique ce soit.

 Lorsque les rigueurs des frimas apparurent, la cigale qui connaissait les précautions de la fourmi lui demanda alors de l’aider à supporter les affres hivernales. Elle proposa même de la rémunérer pour cette fourniture.

La fourmi, ulcérée par l’absence de prévisions de la cigale, fut abasourdie par sa demande. Elle se permit de lui rappeler son manque de gestion de l’avenir.

La cigale lui rétorqua alors qu’elle animait tout l’été par ses chants au profit de qui voulait bien l’entendre, même si cela déplaisait à la fourmi.

Cette dernière interrompit la conversation :

« Vous chantiez ? j’en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant. »

LE CORBEAU ET LE RENARD

Comme nombre d’animaux, le corbeau vole tout ce qui peut lui servir de nourriture.

Celui-ci venait de s’emparer d’un fromage à la ferme voisine et pour le déguster, s’était installé sur la branche d’un arbre.

Dans ses pérégrinations, un renard passe près de cet arbre et son odorat fin, souvent infaillible, lui indique une odeur fromagère provoquant un fort désir gustatif.

Rusé, il engage la conversation avec le corbeau en le flattant. Il lui exprime sa beauté, insiste sur son magnifique plumage et le considère comme le champion oratoire de la forêt.

Le corbeau, tout heureux de cette flatterie, décide alors de montrer ses capacités vocales. Ainsi, oubliant son butin, il ouvre largement son bec et sa pitance choit au sol.

Avant de s’en saisir, le renard s’adresse une dernière fois au corbeau :

Mon cher, je vous ai donné une leçon par une flatterie qui vous a nui. Cela vaut donc bien un fromage !

Le corbeau vient ainsi d’apprendre qu’il faut se méfier des compliments d’autrui.

LA POULE AUX ŒUFS D’OR

Une poule pondait tous les jours un œuf en or. Le fermier qui la possédait en tirait une belle richesse. Mais celui-ci en souhaitait davantage car il imaginait que ces œufs provenaient d’un trésor caché dans le ventre de la poule. Alors il la tua, l’ouvrit et la constata semblable à toutes les autres : elle ne possédait aucun trésor.

La poule occise, le fermier ne pouvait donc plus récolter son œuf en or quotidien…

A vouloir être trop riche, on peut devenir pauvre.

   

LE HERON

Un héron, oiseau au long cou suivi d’un long bec, cheminait le long d’une rivière bien claire où se côtoyaient des carpes, des brochets et bien d’autres poissons.

Cela aurait fait un parfait repas pour notre héron qui n’avait qu’à plonger le bec dans l’eau pour y puiser ces mets. Néanmoins, comme son appétit était encore insuffisant, il considérait que l’heure de son repas n’était pas encore arrivée.

Quand son estomac commença à geindre, il s’approcha du bord de l’eau et ne vit plus que du menu fretin qu’il dédaigna, souhaitant de plus grosses prises. Mais à cette heure, il se fit de moins en moins de poissons, puis plus du tout.

Une faim terrible le prit et après avoir précédemment dédaigné les carpes et les brochets, il dût malheureusement se contenter d’un limaçon !

Il ne faut donc pas être difficile et ceux qui s’adaptent sont les plus habiles. Evitons donc de dédaigner lorsque nous pouvons profiter.

LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE

Etrange : une montagne souhaitait avoir un enfant ! Le jour de l’accouchement, elle cria tellement fort que tout le monde pensait qu’elle allait accoucher d’une ville comme Paris.

Mais non, elle accoucha d’une simple souris !

Beaucoup promettent, mais il n’en sort souvent que du vent !

LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF

Une grenouille admirait un bœuf de belle taille.

Oh ! Comme j’aimerais avoir la même corpulence ! se disait-elle.

Alors, elle décida de se faire grossir. Elle commença à s’étendre, se gonfler pour prendre progressivement du volume.

Régulièrement, elle demandait à sa sœur si elle atteignait la taille du bœuf.  Cette dernière lui répondait régulièrement qu’elle avait grossi, mais qu’elle n’était pas assez dodue pour ressembler au bœuf.

Alors, la grenouille poursuivait son travail de dilatation … jusqu’à l’explosion.

Hélas, trop de monde souhaite être plus grand qu’il ne le peut. Restons raisonnables.

LE CHENE ET LE ROSEAU

Un chêne dit un jour à un roseau tout proche :

-              Vous êtes bien flexible mon cher. Une petite bise vous fait plier et vous supportez mal le poids du moindre oiseau. Regardez-moi : non seulement je procure de l’ombre, mais je brave toutes les tempêtes sans plier comme vous. Pourquoi ne vous mettez-vous pas sous mon abri au lieu d’avoir les pieds trempés dans les marécages ? Je vous pleins de ces outrages que la nature vous fait endurer.

-              Je vous remercie pour votre compassion naturelle, lui répondit le roseau. Mais ne vous souciez pas de moi car je plie mais ne romps pas. Jusqu’à ce jour, vous avez résisté à toutes les tempêtes, mais sera-ce toujours le cas ?

A ces mots, un ouragan surgit depuis l’horizon, croissant en force. Le chêne résistant au début se fragilisa progressivement jusqu’à se déraciner alors que le roseau pliait fortement sans perdre pied.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE

La peste, ce mal terrible, décida de faire la guerre aux animaux. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient malades. Ils n’avaient plus d’envie. Les loups et les renards ne chassaient plus. Les tourterelles se fuyaient. Il n’y avait plus d’amitié ni de joie.

Alors le lion réunit les animaux :

-              Je crois que cette maladie nous échoit pour nous punir de tous nos méfaits. Je demande au plus coupable de se sacrifier. Par son geste, peut-être obtiendra-t-il la guérison de tous. Alors, soyons honnêtes et sans indulgence pour évaluer notre propre conscience.

Le lion continua :

-              En ce qui me concerne, j’ai dévoré de nombreux moutons pour satisfaire mes appétits gloutons. Pourtant, ils ne m’avaient fait aucune offense. J’ai même parfois mangé le berger ! Je me dévouerai donc s’il le faut. Mais avant, je laisse chacun se déclarer pour que le plus coupable nous aide par son sacrifice.

Le renard prit la parole :

-              Sire lion, vos scrupules sont emprunts de délicatesse. Est-ce un péché que de manger moutons, canailles et sotte espèce ? Non ! En les croquant, vous leur fîtes beaucoup d’honneur royal. Quant au berger, il a bâti un empire avec les animaux…

Les flatteurs applaudirent.

De même, on n’osa pas approfondir les offenses du tigre, de l’ours ni des autres puissants. Tous les orateurs, au dire de chacun n’étaient que de petits saints.

Vint le tour de l’âne qui exposa son cas :

-              Passant près d’un pré à l’herbe tendre, la faim dans le ventre, j’en tondis la largeur de ma langue. Je le reconnais, je n’en avais pas le droit.

A ces mots on cria haro sur le baudet.

 

Un Loup prouva par son plaidoyer que le mal venait de ce pelé, ce galeux, et qu’il fallait donc le sacrifier.

On décida donc que manger l’herbe d’autrui est un crime abominable et l’âne fut condamné au sacrifice.

Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

LE COCHE ET LA MOUCHE

Dans une forte pente ensoleillée circulait une diligence tirée par six chevaux. Tous les passagers étaient descendus pour alléger le véhicule. Les chevaux suaient, soufflaient et se tendaient dans l’effort.

Une mouche s’approcha de l’attelage et prétendit activer l’ensemble par ses bourdonnements. Elle piqua chaque animal, chemina du cocher aux passagers, montra un zèle ardent comme un capitaine commandant son bataillon pour hâter la victoire.

 Elle se plaignit d’agir seule, d’en avoir tout l’ouvrage, que personne n’aidait les chevaux, les uns batifolant ou discourant entre eux, d’autres lisant un bréviaire, d’autres encore chantant. Pour les inciter, la mouche elle aussi chanta aux oreilles de chacun.

Mais grâce aux efforts des chevaux, la diligence arriva au sommet de la côte. La mouche considéra que ce résultat lui était dû, et elle eut l’outrecuidance de demander le salaire de son travail !

Ainsi certaines gens, faisant les empressés, s’introduisent dans les affaires : ils font partout les nécessaires, et, partout importuns, devraient être chassés.

LE LOUP ET L’AGNEAU

Un agneau se désaltérait au bord d’une rivière.

Un loup affamé vint sur les mêmes lieux et s’adressa rageusement au mouton :

-              Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Tu seras châtié de ta témérité !

 -             Monsieur le loup, ne vous fâchez pas. Je vais me désaltérer plus loin et ainsi je ne vous troublerai pas.

-              Mais, tu me troubleras quand même. De plus, l’an passé tu médisais à mon propos !

-              Je tête encore ma mère. Je ne pouvais donc te médire l’année dernière !

-              Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

-              Je n’en ai point.

-              C’est donc quelqu’un des tiens. Vous ne m’épargnez guère, vous, vos bergers, et vos chiens. On me l’a dit ! il faut donc que je me venge !

Sur ces propos, le loup s’empara de l’agneau et s’en alla vers sa tanière pour le dévorer.

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

 

LE LION ET LE RAT

Un rat étourdi chemina entre les pattes d’un lion. Ce dernier, magnanime, laissa vivre le rat qui se souvint de cette bonté léonine.

Un jour, le même lion fut pris dans un filet. Ses débattements en resserraient progressivement les liens. Ses hauts rugissements attiraient des spectateurs passifs qui n’osaient pas intervenir pour le libérer.

Alors le rat, à qui le lion laissa la vie sauve, accourut. Avec ses dents tranchantes, il coupa fil par fil les mailles du filet jusqu’à délivrer le lion.

On a souvent besoin d’un plus petit que soi.

Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

 

LE LABOUREUR ET SES ENFANTS

Un riche laboureur très malade sentait son trépas approcher. Il fit venir ses enfants pour évoquer leur avenir :

-              Mes chers enfants, la terre que vous allez hériter vient de mes parents qui l’ont reçue de mes grands-parents. Je vous recommande de la garder et de ne jamais la vendre parce qu’un trésor y est caché. Mais je n’en connais pas l’endroit. Il vous faudra du courage pour le chercher et le trouver : après les récoltes, vous remuerez les champs, vous creuserez, vous fouillerez, vous labourerez partout sans en oublier la moindre surface.

Après la mort du laboureur, les enfants travaillèrent comme leur avait proposé leur père, tant et si bien que la récolte suivante fut très abondante.

En fait, il n’y avait aucun argent caché dans la terre. C’et le travail lui-même qui était un trésor : il procurait les excellentes récoltes.

Travaillez, prenez de la peine : c’est le fonds qui manque le moins.

LE LION ET LE MOUCHERON

Un lion, fort de sa puissance et agacé par un moucheron lui commanda de s’enfuir loin de lui.

Le moucheron non craintif décida alors de lui déclarer la guerre.

-              Penses-tu, lui dit la chétive mouche, que ton titre de roi des animaux me fasse peur, ni qu’il me soucie ?

-              Un bœuf est plus puissant que toi ; et je le mène à ma fantaisie, lui répondit le lion.

Alors, le moucheron recommença ses agacements : il fonça sur le cou du lion qu’il rendit presque fou. Le quadrupède écuma, et son œil étincelait de rage. Il rugit tellement qu’on tremblait et se cachait dans les environs.

Dire que tout cela était l’œuvre d’un moucheron, un avorton de mouche qui le harcelait en de multiples endroits, tantôt sur l’échine, tantôt sur le museau. La rage du lion était à son apogée.

Alors, le moucheron triompha et rit de voir le lion furieux gesticuler follement, se griffer lui-même jusqu’au sang, se battre les flans avec sa queue, puis vaincu, être abattu de fatigue.

Alors, l’insecte se retira avec gloire, sonna la victoire et l’annonça partout dans la savane.

Sur son chemin, ivre de sa victoire, il n’aperçut pas la toile d’araignée tendue en embuscade. Le pauvre moucheron précédemment glorieux y finit là sa course et sa vie.

Entre nos ennemis, les plus à craindre sont souvent les plus petits.

Après s’être soustrait aux grands périls, on peut périr pour la moindre affaire. 

 

LE RENARD ET LA CIGOGNE

Un renard décida d‘inviter son amie la cigogne. A cet effet, il prépara un repas frugal composé d’aliments simples trempés dans un potage qu’il servit dans une assiette. Cette présentation fut incommode pour la cigogne : avec son long bec, elle ne put profiter des mets et le renard lapa avec plaisir les deux assiettes.

 La cigogne décida de se venger : elle retourna l’invitation au renard qui, en glouton, ne se fit pas prier. En arrivant, il loua le fumet et s’en léchait les babines. La cigogne servit les mets dans un vase à long col et à embouchure étroite. Autant le bec de la cigogne parvenait à attraper la nourriture, autant il était impossible au renard de l’atteindre. Honteux, il retourna chez lui à jeun…

Trompeurs, attendez-vous à la pareille.

LE RENARD ET LE BOUC

Un bouc abondamment encorné et mal-voyant cheminait avec un renard particulièrement trompeur. Assoiffés, ils s’arrêtèrent à un puits dans lequel il fallait descendre pour se désaltérer, ce qu’ils firent. Après avoir bien étanché leur soif, le renard dit au bouc :

-              Maintenant, il faut sortir de ce puits. Mets-toi debout, les pieds avant contre la paroi du puits. Je grimperai sur ton dos, puis sur tes cornes pour me hisser sur la margelle du puits. Ensuite, depuis le bord, je te tirerai.

-              Voilà qui est bien pensé, répondit le bouc. Je n’aurai jamais eu cette idée.

 Par ce procédé, le renard sortit en premier du puits et s’adressa au bouc :

-              Si tu avais bien réfléchi, tu ne serais pas descendu à la légère dans ce puits. Maintenant, je suis en-dehors et j’ai des affaires qui m’attendent. Tâche de t’en tirer seul.

En toute chose il faut considérer la fin.

LE GEAI PARE DES PLUMES DU PAON

Un paon muait. Un geai se procura son plumage et s’en para. Puis il parada tout fier parmi les paons, pensant être un bel oiseau. L’un des paons le reconnut. Il fut alors bafoué, sifflé, moqué, joué et s’enfuit.

Il alla se réfugier parmi les siens qui l’éconduisirent.

Ces gens qui se parent des biens d’autrui sont des plagiaires.

LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT

Perette, portant un pot de lait, s’en allait guillerette vendre son lait à la ville voisine. Habillée pour la marche, elle avançait à grand pas. Elle imaginait déjà la recette de sa vente avec laquelle elle pourrait acheter cent œufs. Après la couvée et l’élevage de ses poulets à l’abri des désirs du renard, elle espérait en tirer un bénéfice qui lui permettrait d’acquérir un cochon. Celui-ci bien engraissé lui rapporterait de quoi acheter une vache et son veau…

Ainsi, Perette rêvait de sa future fortune.

Le plaisir de cet avenir la faisait sautiller de joie… et elle renversa le pot de lait.

Adieu veau, vache, cochon, couvée…

Alors, elle courut s’excuser auprès de sa famille, craignant d’être fortement vilipendée.

Qui fait des châteaux en Espagne devient gros Jean comme devant.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS

Un jour, le rat de ville invita le rat des champs. Il le reçut correctement, sur un tapis de Turquie et lui offrit de somptueux mets. Rien de manquait au festin. Mais un bruit à la porte de la salle troubla la fête. Le rat de ville détala, suivi par le rat des champs. Sitôt le tapage terminé, le citadin proposa d’achever le repas.

-              Je ne le souhaite pas répondit le rural. Demain vous viendrez chez moi. Non pas que je n’apprécie pas votre festin, mais chez moi, rien ne vient interrompre mes repas. Je mange donc à tout loisir.

Fi du plaisir que la crainte peut altérer.

 

LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS

Une tortue lasse de son environnement voulait voir d’autres contrées qui lui avaient été contées. Elle en parla à deux canards qui lui proposèrent de l’aider :

-              Voyez-vous cet océan ? Nous vous conduirons en Amérique et vous verrez maints pays, moult peuples et vous pourrez observer différentes coutumes.

La tortue accepta. Les canards lui demandèrent de serrer fortement dans sa bouche un bâton que chacun prit par un bout. Ainsi, la tortue s’éleva entrainée dans les airs par les canards. Du sol, on regarda ce curieux attelage et on fut étonné d’observer une tortue voler, elle qui est vouée à un lent déplacement au sol avec sa maison sur le dos.

 Chacun évoqua l’imbécilité de la tortue. Malheureusement, celle-ci desserra les dents, et lâchant le bâton, elle échoua mortellement aux pieds des spectateurs.

Imprudence, babil, sotte vanité et vaine curiosité sont tous parents

LE LOUP ET LE CHIEN

Un loup devenait très maigre car les chiens de garde assuraient bien leur service. Il rencontre un dogue aussi puissant que beau. Le loup aurait bien souhaité l’attaquer pour en faire sa nourriture, mais la bataille contre cet animal si bien bâti aurait été trop rude. Le loup l’aborda donc humblement en le félicitant sur son embonpoint. Le dogue lui répondit :

-              Vous aussi, vous pouvez devenir aussi gras que moi. Quittez votre domaine où vous et vos semblables ne pouvez-vous nourrir qu’en livrant bataille. Venez avec moi, vous aurez une meilleure vie.

 -             Mais que devrai-je faire ?

-              Presque rien : chasser les intrus, flatter les maîtres. Vous aurez ainsi les restes de leurs repas ainsi que des caresses.

Le loup se voit déjà dans cette condition et cela l’émeut. Tout en marchant, il vit le cou pelé du chien.

-              Pourquoi vous manque-t-il quelques poils autour du cou ?

-              Ce n’est rien

-              Quoi rien ?

-              Oh peu de choses

-              Mais encore ?

-              Cela vient du collier auquel je suis attaché.

-              Attaché ? Vous ne courez donc pas ?

-              Où voulez-vous que je courre. Peu importe.

-              Mais cela m’importe de courir. Je ne veux donc pas de vos repas, même s’il s’agissait d’un festin !

Cela dit, le loup s'enfuit, et court encore. 

 

LE COQ ET LE RENARD

Un vieux Coq adroit et malin était installé sur la branche d’un arbre. Un renard passant par-là lui dit d’une voix mielleuse :

-              Cher coq, je t’annonce que je souhaite faire la paix pour ne plus nous quereller. S’il te plaît, puisque désormais nous sommes frères, descend de ta branche pour que nous nous embrassions. Faisons-le de suite pour que je puisse poursuivre ma quête identique avec d’autres frères. Maintenant, les tiens et toi-même pouvez vaquer sans craindre mes crocs. Viens donc recevoir le baiser d’amour fraternel.

-              Ami, reprit le coq, je n’aurais pas pu apprendre une plus douce et meilleure nouvelle, que celle de cette paix. Et ce m’est une joie de la tenir de toi. Mais au fait - le coq faisant semblant de regarder au loin - je vois deux lévriers, qui vont nous rejoindre dans peu de temps pour cette bonne nouvelle. Ainsi, nous la fêterons ensemble. Je descends et nous pourrons nous congratuler tous.

-              Adieu, dit le renard, ma course est longue à faire. Nous nous réjouirons du succès de l’affaire une autre fois.

Le rusé tira sa référence, mécontent de son stratagème raté. Et notre coq se mit à rire en lui-même de sa peur.

C’est double plaisir que de tromper le trompeur.

  

LE CYGNE ET LE CUISINIER

Une ménagerie possédait de nombreux volatiles où vivaient un cygne et un oison. Le premier plaisait au regard de son maître qui appréciait le second pour sa chair. Les deux animaux aimaient batifoler dans ces lieux, s’y promenant, s’y logeant, nageant, plongeant…

Mais un jour, ivre, le cuisinier captura le cygne au lieu de l’oison. Le tenant au cou, Il allait l’égorger pour le cuisiner.

L’oiseau, prêt à mourir se plaignit alors du sort qui lui était proposé. Le cuisinier, surpris, comprit qu’il s’était mépris.

-              Qu’allais-je faire ! Mettre ce cygne dans une marmite ! Il ne faut pas que mon bras coupe le cou d’un si bel animal !

Ainsi dans les dangers qui nous menacent, le doux parler ne nuit pas.

 LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE

Deux taureaux se combattaient pour une génisse.

Assistant à la lutte, une grenouille leur dit :

-              Qu’avez-vous à vous quereller pour qu’à la fin l’un de vous soit exilé et doive renoncer à nos si belles campagnes fleuries ? Il ne broutera plus l’herbe fraîche des prairies. Alors, il viendra donc dans nos marais parmi les roseaux et sans prendre garde à nos existences, nous foulera de ses pattes. Tout cela à cause d’un conflit causé par une génisse que vous convoitez !

Cette crainte était logique. A l’issue du combat, l’un des taureaux se réfugia chez les grenouilles et en écrasait vingt par heure.

Hélas ! on voit de tout temps que les petits pâtissent des sottises des grands.

L’HOMME ET SON IMAGE

Un homme s’aimait tellement qu’il s’estimait le plus beau du monde. A cause de son erreur, ce sot était heureux. Pourtant, les miroirs, conseillers muets, ne manquaient pas de lui rappeler la vérité. Il accusait toujours ces miroirs d’être faux. Alors, par tranquillité, il se confina dans les lieux les plus cachés pour s’extraire du regard des miroirs. Mais une nappe d’eau issue d’une source pure s’y trouvait.

L’homme s’y vit, se fâcha et son regard pensa n’y voir qu’une illusion. Alors, il fit tout pour éviter cette nappe, mais elle était si belle qu’il ne la quitta qu’avec peine.

Les miroirs peignent nos défauts et nos sottises. Amoureux de nous-mêmes, nous ne souhaitons pas les accepter. Les nappes d’eau – la vérité - sont là pour nous les rappeler.

LA CHATTE METAMORPHOSEE EN FEMME

Un homme chérissait éperdument sa chatte. Il trouvait mignonne, belle et délicate celle qui miaulait d’un ton fort doux. Il en était plus fou que les fous. Il pria tant, supplia tant, utilisant sortilèges et charmes qu’un beau matin, dans sa tête, sa chatte devint femme. Il l’épousa aussitôt, fou d’amour extrême. Aucune belle dame n’aurait pu autant charmer son mari. Il l’amadouait, elle le flattait. Il n’y trouva plus rien de chatte, et poussant l’erreur jusqu’au bout, la crut réellement femme.

C’est alors que quelques souris passèrent par-là, ne craignant pas un animal ayant changé de figure. Aussitôt, les réflexes félins de la chatte s’activèrent. La femme est sur pied. Prise à l’improviste, elle manqua sa proie mais se prépara au prochain passage où elle réussit la capture.

La transformation de la chatte fut donc un leurre moqué par la force du naturel et de l’expérience.

Malgré les contraintes et les sévices, il est difficile de réformer une habitude à laquelle on souhaite se désaccoutumer lorsque le pli est pris.

Qu’on lui ferme la porte au nez, elle reviendra par les fenêtres.

LE LIEVRE ET LES GRENOUILLES

Que peut faire un lièvre dans son gite sinon de songer ? Ce lièvre était plongé dans un ennui bien profond : il était triste et rongé par la crainte. Il se savait de naturel peureux et cela le rendait malheureux. Impossible de se délecter d’un morceau qui lui profite. Jamais de plaisir pur. Toujours sur le qui-vive.

-              Voilà comme je vis, se dit-il. Cette crainte maudite m’empêche de dormir.

-              Corrigez-vous, aurait dit un sage.

Mais la peur se corrige-t-elle ?

-              Les hommes ont peur comme moi, raisonnait notre lièvre.

Alors, douteux, inquiet et mélancolique, il faisait le guet. Un souffle, une ombre, un rien, tout lui inspirait la crainte.

A l’instant, il entendit un léger bruit. Il le comprit comme un signal pour s’enfuir de sa tanière. Quand il s’approcha des bords d’un étang, il vit des grenouilles effrayées se jeter dans l’eau.

 

Oh, dit-il, j’en fais faire autant qu’on m’en fait faire ! Ma présence effraie aussi les gens ! Des animaux tremblent devant moi ! Je suis donc un foudre de guerre. Et d’où me vient cette vaillance ?

Tout poltron sur la terre peut trouver un plus poltron que lui.

LE LOUP DEVENU BERGER

Un loup avait des difficultés croissantes pour attraper les brebis de son voisinage. Comme les renards rusés, il crut améliorer ses chances de capture en se grimant en berger. Il endossa un manteau, fit une canne avec un bâton, sans oublier la musette. Il n’osa pas inscrire Guillot sur le chapeau, comme le menteur criant au loup. Ainsi accoutré, les pieds de devant sur le bâton, le loup s’approcha doucement du berger pendant son sommeil profond. Le chien et la plupart des brebis dormaient aussi.

 L’hypocrite ne les dérangea pas. Mais pour pouvoir attirer les brebis vers son antre, il crut nécessaire de leur parler. Cela gâta son affaire. Croyant contrefaire la voix du berger, c’est la sienne qu’on entendit et son stratagème fut découvert. Chacun se réveilla à ce bruit, les brebis, le chien, le berger. Empêtré dans ses habits, le loup ne put fuir ni se défendre.

Les fourbes ont toujours une faiblesse. Tout loup doit agir en loup, c’est le plus sûr. 

 

LE CHARTIER EMBOURBE

Une voiture à foin se trouva embourbée dans la campagne. Le pauvre conducteur était loin de toute aide. Il jura de son mieux, pestant de fureur contre les trous, contre les chevaux, contre la voiture, contre lui-même. Il implora les dieux tout autant que le vigoureux Hercule aux bras puissants.

Sa prière étant faite, il entend dans le ciel une voix qui lui parle ainsi :

-              Hercule veut qu’on se prenne en main, ensuite il aide les gens. Regarde donc où se situe l’obstacle qui retient ta voiture. Ôte d’autour de chaque roue cette maudite boue qui les enduit jusqu’à l’essieu. Prends ton pic, et romps ce caillou qui te nuit. Comble cette ornière.

Le conducteur accomplit toutes ces tâches.

-              Maintenant je vais t’aider, dit la voix. Utilise ton fouet.

-              Mes chevaux tirent et ma voiture avance à souhait ! Hercule en soit loué !

-              Tu vois donc comment tu t’es aisément sorti de là.

Aide-toi, le Ciel t’aidera.

LE RAT ET L’ELEPHANT

Un éléphant des plus importants transportait un gros équipage, une sultane de renom, son chien, son chat et sa guenon, son perroquet et toute sa maison. Ils s’en allaient en pèlerinage.

Un rat des plus petits raillait cet éléphant qui marchait lentement sous le poids.

Surtout, le rat s’étonnait que les passants fussent touchés de voir cette pesante masse :

-              Comme si d’occuper plus ou moins de volume, disait-il, nous rendait plus ou moins importants ! Mais qu’admirez-vous tant en lui, vous autres humains ? Est-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants ? Pour nous, un grain a autant de valeur qu’un éléphant !

Il en aurait dit bien davantage. Mais un chat l’approchant lui fit voir en peu de temps qu’un rat n’est pas un éléphant…

Se croire un personnage est très commun : on y fait l’homme d’importance, et l’on n’est souvent qu’un personnage ordinaire. C’est une sotte vanité. 

 

LE CHEVAL ET L’ÂNE

Un âne accompagnait un cheval peu courtois. Ce dernier ne portait que son cavalier. Le pauvre baudet était si chargé qu’il peinait fortement. Il pria le cheval de l’aider sinon il mourrait avant d’arriver à la ville.

-              Ma prière, dit-il, n’est pas stupide : pour vous, la moitié de mon fardeau sera facile à transporter.

Le cheval refusa et s’offusqua de cette demande. Malheureusement, il vit son camarade mourir sous le poids. Alors il reconnut qu’il avait eu tort de refuser l’aide car on chargea sur son dos l’âne et le fardeau qu’il portait.

En ce monde il faut se secourir l’un l’autre : si ton voisin vient à mourir, c’est sur toi que le fardeau tombera.

L’OURS ET LES DEUX COMPAGNONS

Deux compagnons pressés de gagner de l’argent, vendirent à leur voisin fourreur la peau d’un ours qu’ils tueraient bientôt ; du moins à ce qu’ils dirent. Selon les chasseurs, c’était le roi des ours. Le marchand pourra faire fortune tellement elle protègera des froids les plus cuisants, et tellement grande qu’on pourra en faire deux manteaux.

 

S’offrant de la livrer au plus tard dans deux jours, ils conviennent d’un prix. Ils se mettent en chasse et trouvent l’ours qui s’avance et vient vers eux au trot. Mais les chasseurs précédemment si téméraires prennent peur devant la bête et oublient leur marché. L’un des compagnons grimpe à un arbre. L’autre, transi d’effroi, et ayant entendu qu’un ours ne s’acharne pas sur un corps qui ne bouge pas ni ne respire pas, se couche face au sol, fait le mort et retient son souffle.

Comme un sot, l’ours tombe dans le panneau du corps gisant, le croyant sans vie. Par crainte de supercherie, il le tourne, le retourne, approche son museau, flaire l’haleine au passage.

-              C’est un cadavre, se dit-il, partons car il sent.

À ces mots, l’ours s’en retourna dans la forêt. Le marchand perché descend de son arbre et court à son compagnon, lui dit que c’est merveille qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal.

-              Eh bien, demanda-t-il, que t’a-t-il dit à l’oreille ? car il s’approchait de bien près, te retournant avec ses pattes.

-              Il m’a dit qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant qu’on ne l’ait mis par terre.

LE MEUNIER, SON FILS ET L’ANE

Un meunier âgé et son fils de quinze ans allaient vendre leur âne un certain jour de foire. Afin qu’il paraisse frais pour en tirer le meilleur prix, le meunier et son fils lui lièrent les pieds et le suspendirent pour le porter la tête en bas comme un colis. Pauvres gens idiots, ignorants et rustres !

Le premier qui les vit éclata de rire.

-              Le plus âne des trois n’est pas celui qu’on pense !

A ces mots, le meunier comprit son ignorance. Il remit sa bête sur pieds. L’âne, qui goûtait fort peu la précédente façon d’aller se plaint en son patois. Le meunier n’en eut cure, fit monter son fils, puis il les suivit.

Passent trois marchands fâchés de cette situation. L’un s’exclama :

-              Oh là, descendez jeune homme. Même si l’homme à barbe grise est votre valet, c’est au vieillard de monter et à vous de le suivre.

-              Messieurs dit le meunier, je vais vous contenter.

L’enfant mit pied à terre, et puis le vieillard monta.

Trois filles vinrent à passer. L’une dit :

-              C’est honteux de voir marcher ce jeune fils tandis que ce nigaud, comme un évêque, fait le veau sur son âne et pense être bien sage.

-              Il n’est plus de veaux à mon âge, dit le vieillard, croyez-moi et passez votre chemin.

Mais finalement, l’homme crût avoir tort et fit monter son fils en croupe derrière lui.

Après trente pas, une troisième troupe trouva encore à gloser. L’un dit :

-              Ces gens sont fous, le baudet n’en peut plus, il mourra sous leurs coups. Hé quoi, charger ainsi cette pauvre bourrique ! N’en n’ont-ils point pitié ? Sans doute vont-ils vendre sa peau à la foire ?

Agacé par toutes ces remarques contradictoires, le meunier décida de décharger l’âne des deux passagers.

Se prélassant, l’âne marcha ainsi devant eux. Un quidam les rencontra et leur dit :

-              Est-ce la mode, que le baudet aille à l’aise, et que le meunier se fatigue ? Qui de l’âne ou du maître est fait pour se reposer ? Je conseille à ces gens de le monter. Ils usent leurs souliers, et ménagent leur âne !

-              Je suis sot, je l’avoue, dit le meunier, mais que dorénavant on me blâme ou qu’on me loue, qu’on dise quelque chose, ou qu’on ne dise rien, je veux n’en faire qu’à ma tête.

Il le fit, et fit bien.

 

Quoique vous fassiez, les gens en parleront, n’en doutez nullement.

bottom of page