Mes écrits
Jacques LAUNAY
OBSERVATIONS
SOMMAIRE
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L'étang de dame nature (mars 2025 - 1 minute)
Le bonheur du ver de terre (juillet 2024 - 1 minute)
Le galet (Juin 2024 - 1 minute)
Les méandres fluviaux (Mars 2024 - 1 minute)
Mon bois chéri (Nov 2023 - 5 minutes)
La chute des feuilles (Oct 2023 - 1 minute)
Dans la salle d'attente (Juin 2022 - 1 minute)
De mon salon (Janv 2021 - 1 minute)
Komorebi (Fev 2021 - 1 minute)
Teranga ( Mars 2021 - 1 minute)
Bulbe, je renais (Avril 2021 - 1 minute)
La brindille (Avril 2021 - 1 minute)
L'étang de dame nature
Je me baladais le long d’un étang.
L’air était calme,
Et engendrait une infime vibration sur la nappe.
Un autre promeneur me devançait à un rythme semblable.
Soudain, il s’arrêta et se pencha au-dessus du liquide.
Il semblait intrigué, les poings sur les hanches,
Et ses gestes prenaient progressivement la forme de la colère.
A son approche, il m’interpella
Et me fit remarquer la présence au fond,
Posés sur la vase,
De chaussures, de boites de conserves,
Et divers autres objets hétéroclites
Que des paresseux
N’avaient pas souhaité déposer dans les lieux appropriés.
Je ne pouvais que confirmer son indignation
Qui était aussi la mienne.
Puis je lui proposai de relever les yeux
Pour observer la surface de l’étang.
On y remarquait les merveilleux reflets du ciel,
L’écho visuel de la nature comme
Les feuillages des arbres environnants,
Les jonquilles bordurant l’étang,
Les nuages tapissant çà et là le bleu du ciel…
Alors, oui, les incivilités humaines sont une calamité
Pour Dame Nature.
Elle en souffre, elle gémit sourdement,
Mais nombre d’entre nous en sont indifférents.
Qu’y pouvons-nous individuellement,
Sauf à proposer à notre entourage mal averti
D’en prendre soin comme de notre corps,
Comme un placement pour le futur.
Le bonheur du ver de terre
Dans ses pérégrinations sous terre,
Le ver ne craint pas le bec du volatile.
Il se meut au sein d’un réseau social
Fait d’une myriade d’êtres vivants,
De racines et de rhizomes,
Tous vivant en harmonie.
En l’absence de volonté de supériorité,
Aucun ne cherche à détruire l’autre.
Les grands abritent les petits,
Les petits apportent aux grands.
Les racines sont entremêlées.
Elles forment harmonieusement
Un réseau interconnecté.
L’équilibre est présent,
Grâce à l’organisation de la nature.
Tout est fraternel.
L’inutile n’a pas sa place.
Aucune intolérance entre les différentes espèces.
Elles se respectent mutuellement,
Profitant de leurs différences pour se compléter.
Dans ses pérégrinations souterraines,
Le ver évolue dans un monde pour nous obscur,
Un monde harmonieux, bienveillant et uni.
Le galet
Je suis là, sur une plage, parmi mes amis galets.
Auparavant, dans la nuit des temps,
j’étais un caillou aux angles tranchants.
Depuis des siècles chahuté par la houle
qui m’entrechoquait sur mes congénères,
mes formes se sont épointées
et ma peau s’est lissée.
Sur cette plage, j’endure jour et nuit
le soleil et la pluie,
les embruns, la neige et les tempêtes.
Néanmoins, j’apprécie le bruit des vagues
et les senteurs marines.
Parfois je suis saisi par des mains jongleuses
pour être empilé sur un cairn,
ou bien contribuer à une figure sur le sable,
œuvre éphémère.
Dans d’autres mains plus viriles,
il m’arrive d’être projeté.
Pourquoi ?
Probablement parce que l’humain adore mesurer sa force,
ou apprécier son adresse de tireur,
me faire rebondir sur la surface de l’eau,
ou bien observer les gerbes quand j’y plonge.
Serai-je un jour emporté par un promeneur attiré par mes formes ?
Je deviendrai alors un presse papier,
éventuellement habillé de couleurs,
ou je serai exposé sur une étagère,
ou encore, comble du narcissisme, dans une vitrine.
Et pourquoi pas déposé dans la végétation d’un jardin ?
ou bien intégré à une fresque murale ?
Sinon, devenu inutile, je serai rapporté sur une plage,
voire, hélas, jeté dans un lieu inapproprié…
Voilà, je participe à un paysage toujours changeant
sur lequel les humains n’aiment pas poser les pieds,
préférant la douceur du sable.
Je m’en excuse auprès d’eux, mais je n’y peux rien :
je suis sur cette plage par la volonté de la nature
qui m’a installée dans cet endroit iodé
sur fond sonore de vagues écumantes.
LES MEANDRES FLUVIAUX
Du ru à l’estuaire,
Les cours d’eau font des détours
Parce que personne ne leur a montré le chemin.
(Proverbe gabonais)
Ivres de cette eau qu’ils transportent,
Les cours titubent au milieu du paysage.
Comme les promeneurs, ils contournent les obstacles.
Ainsi, en sinuant et brisant leurs cours,
Ils ne peuvent craindre la lassitude de la ligne droite.
Ils parcourent la campagne,
Traversent des bourgs et des villes,
Dévalent des pentes,
Serrent les coudes dans les gorges,
Et ruissellent au creux des vallées.
Des barrages peuvent les ralentir pour profiter de leur énergie.
Lorsqu’ils ont formé leurs parcours,
Ils suivent toujours le même circuit,
Comme guidés par des rails au fond du lit,
Rognant les berges
Et tentant parfois de les repousser pour faciliter leur trajectoire.
Tantôt calmement, tantôt trépidamment,
Parfois en sauts aériens
Comme un acrobate dans les airs d’un cirque,
Ses eaux exécutent le saut de l’ange.
Ils s’unissent dans leur parcours avec des collègues,
Chacun apportant un peu de sa terre natale.
Flots incessants,
Parfois affaiblis par la raréfaction des ressources en amont,
Parfois grossis par une surabondance les faisant prendre leurs aises.
Ils se dirigent sans coup férir vers l’océan,
Grand réceptacle de tous les fleuves.
Du ru à l’estuaire, les cours peuvent nous en conter !
MON BOIS CHERI
J’adore me promener vers un joli bois à quelques enjambées de la maison. Pour y parvenir, j’emprunte un court chemin de plaine qui longe un patchwork de champs et de prairies. Il se prolonge par une sente dans cet adorable bois de hêtres et de chênes majestueux étendu sur les deux pans d’un petit val aux pentes douces. Il est traversé dans son creux par un ruisseau qu’un pont de pierres enjambe au droit de la sente, près d’une ancienne bâtisse basse désormais abandonnée, sans portes ni fenêtres et au toit délabré. Elle avait dû servir de refuge pour les voyageurs pédestres pris sous la pluie, ou de repaire de pêcheurs puisant quelques ressources poissonnières dans le cours d’eau. Une remontée facile poursuit la traversée pour aboutir à un hameau de quelques maisons bâties à la lisière.
A toute saison, la balade possède son charme et chaque virée promet un spectacle différent.
******
Au démarrage de l’été, les prairies sont l’habitat des bovins qui paissent une herbe bien grasse pour produire une viande goûteuse, ou un lait riche qui sera transformé, entre autres, en un beurre jaune puissant et en délicieux fromages. Le sol vert des prairies est parsemé de couleurs florales tels les jaunes des boutons d’or et des pissenlits, les violets des crocus, les blancs des pâquerettes se mêlant avec les rouges de quelques coquelicots parsemés ici ou là.
A cette période, les blés et les orges dorés par le soleil et gonflés de leurs grains ondulent dans les champs. Les contacts intimes des épis entre eux émettent ce faible bruissement si caractéristique, en fond sonore des pépiements des oiseaux occupés à leurs vols qui nous paraissent anarchiques mais qui sont probablement bien orchestrés à leurs usages.
La chaleur de l’été qui me fait transpirer malgré mes vêtements légers s’atténue dès que je franchis l’orée du bois à l’ombre providentielle. Mes yeux réclament quelques secondes pour passer d’une lumière intense à la clarté assombrie par la frondaison. En dominante, le paysage est un camaïeu de verts apportés par les hêtres et les chênes, mais aussi par la végétation tapissant le sol comme les pousses et les mousses, les ronces et les orties, ou les lichens sur les troncs se bataillant avec les lierres qui rampent pour s’élever vers le ciel. Cette végétation laisse une place aux ossatures des fûts et des branches. Je suis dans le terrain de jeu des écureuils, des lièvres, des campagnols et des oiseaux. Chacun y trouve son refuge, les uns dans les troncs, les autres dans des garennes, les derniers dans des nids qu’ils ont construit à leur convenance … ou que les coucous empruntent… Parfois, des chevreuils égarés viennent se réfugier dans ce bois. Toute cette faune s’abreuve à la rivière qui défile avec un murmure aquatique. Invisibles, une myriade d’insectes s’agite sur le sol ou dans son épaisseur, sur les troncs ; les ailés parcourent l’air. Les effluves frais de l’humus envahissent agréablement mes cellules nasales.
Dans les matins où le soleil cherche à poindre à travers la brume dans le bois, j’assiste à un magnifique spectacle : le soleil pénètre dans le sous-bois en traçant de lumineuses zébrures obliques faisant ressortir les nodosités ou les torsades des troncs.
J’erre sans peine dans cette atmosphère délicieuse à l’éclairage tempéré, propice au relâchement de la pensée et à l’adoucissement des maux. Le temps ne s’écoule plus et l’apparition d’une pénombre annonce le début de la soirée où l’amplification des chants d’oiseaux signifie le retour au nid pour la nuit à venir.
Je souhaiterais moi aussi m’éterniser nocturnement dans cet univers sylvestre, y goûter le silence de la nuit parfois interrompu par une activité de la faune, ou le bruissement des feuillages, le ululement des hiboux ou encore le craquement des branches, puis y attendre l’aurore pour assister au réveil sonore des volatiles.
A la fin de l’été, les ronces nous laissent picorer les mûres noires si goûteuses, et les cueillir pour en faire de succulentes confitures.
*****
Quand l’été laisse la place à l’automne, les prairies ont été plusieurs fois tondues par les bœufs et les vaches, et le vert de l’herbe pâlit. Les éteules des blés ont été labourées, transformant le jaune des épis en marron de la terre nourricière qui ne demande qu’à recevoir la semence pour prouver son utilité à l’homme. Le paysage s’est transformé en une promesse pour l’année suivante, significative d’espoir. Des faisans aux plumages d’automne viennent s’y poser pour y glaner les vers qui ont le malheur de s’exposer à l’air, ou picorer quelques graines échappées de la récolte précédente.
L’air est frais et n’a plus la pesanteur de l’été. Il me contraint à me couvrir légèrement les membres. A cette période, ma respiration est plus aisée. Mes poumons ne demandent qu’à se repaître de cet air fluide. Mes muscles tellement bien oxygénés facilitent mes mouvements qui me portent avec agilité vers le bois chéri.
Lui aussi se renouvelle progressivement dans ses teintes. Elles deviennent jaune, rouge, ocre, voire marron, un habille mélange d’été indien. Ces couleurs se diffusent jusqu’aux prairies et labours limitrophes qui se revêtissent progressivement d’un tapis de ces feuilles échappées de leurs branches qui ne les nourrissent plus. Sous le soleil, cet ensemble apporte une luminosité chaude.
En pénétrant dans le bois, les effluves de l’humus jaillissent toujours autant. Elles s’introduisent dans mes voies respiratoires avec d’autant plus de facilité que la marche dans la plaine me les a ouvertes. La chaleur moins intense augmente la sensation d’humidité. La végétation est toujours présente, elle aussi en voie de mutation colorée, mais aussi de dépouillement progressif. La musique aviaire reste enchanteresse. Le roux des écureuils se confond avec le nouveau feuillage et le ruisseau poursuit son flux incessant sous le pont de pierre, témoin permanent des activités diurnes et nocturnes du bois.
Il m’est arrivé de survoler ce bois en ULM, petit appareil volant qui nous apporte la sensation d’être soi-même un oiseau. Et tel cet oiseau, je peux admirer la canopée du bois et la comparer à une immense couette mordorée dans laquelle il serait si agréable de s’y lover.
*****
Lorsque l’hiver est installé, les prairies et les labours sont inactifs sous la sécheresse et la froidure de l’air. Les fleurs des champs ont disparu au profit de quelques perce-neiges de fin d’hiver ici et là profitant de cette saison pour s’exprimer. Quelques oiseaux virevoltent à la recherche d’une pitance pour passer l’hiver. Me baladant bien enveloppé dans des habits isolants, mes pas font crisser l’herbe gelée, imprimant un rythme sonore à ma déambulation. Sous la bise, le froid cingle mon visage, exigeant un afflux de sang à mes joues qui en rougissent. Au loin, le bois est dépouillé de son écran de verdure. Les troncs et les branches sont à nu. Les ossatures des arbres décharnés deviennent entièrement visibles, tels des squelettes se balançant au gré du vent qui les fouette. Ainsi, on peut remarquer la structure des branches qui se dispersent autour de son centre comme les baleines d’un parapluie.
Sous la chute des flocons, le sol devient uniformément blanchâtre. La surface de la neige reproduit les formes du sol comme une mer d’huile chagrinée par une légère brise marine. Je distingue ainsi les sillons des labours et le tracé du chemin qui nous guide vers le bois. La croûte neigeuse est parfois parsemée d’empreintes de pattes d’oiseaux ou de lièvres ; des yeux, je suis leur tracé erratique. Et puis, des promeneurs qui m’ont précédé ont laissé les traces de leurs pas. Alors, j’essaie de mettre les miens dans les leurs pour ne pas bouleverser davantage la pureté de la nappe de neige. Ce manteau blanc est un excellent protecteur des sols contre des gels intenses et préserve les semences déjà enfouies.
Au loin, le bois devient un écran blanc se détachant du bleu du ciel comme un nuage ; et comme sur ces masses ouatées navigant dans le ciel, je tente de trouver une similitude avec un animal. Des parcelles azur surgissent aléatoirement entre les branches enneigées comme un kaléidoscope.
A d’autre moments de l’hiver, j’observe les branches et les clôtures chargées d’un givre apporté par les caprices climatiques. Les branches ploient sous la pesante charge de la glace enveloppante. Sous le soleil rasant de l’hiver, cette nature devient un spectacle scintillant : tel un prisme, le givre s’irise comme un diamant fait éclater les couleurs.
*****
Ah le printemps ! Après l’inertie de l’hiver, la nature revit. Je sais qu’elle n’est qu’éphémère jusqu’au prochain hiver où elle se reposera à nouveau après avoir bien produit, pour se réveiller encore, comme une respiration que l’on espère éternelle.
Les arbres, dépouillés de leurs feuilles à l'automne, revivent sous l'effet des températures bien moins hivernales, des pluies fréquentes et d’un effet du soleil plus fort induisant une montée de la sève. Ainsi, Je vois les bourgeons apparaitre sur les arbustes qui bordent les champs. Les fleurs resurgissent. L’herbe retrouve le vert grassouillet qui remplira les panses bovines lasses du foin de l’hiver. Les labours verdissent des pousses qui émergent du sol. Puis au fil du temps, je les vois s’élever et fabriquer leurs poches de grains qui deviendront les épis. Les odeurs printanières viennent narguer mes narines. Je marche sans crainte d’être transi par les précédentes températures hivernales. J’observe la faune qui ressort intensément qui de ses terriers, qui de ses nids, heureuse de profiter des nouvelles substances à leur disposition et de la clémence climatique, même si des gelées tardives peuvent les surprendre.
Au loin, j’aperçois un verger blanchi de fleurs, futurs fruits que l’on récoltera dans la même saison pour les cerises ou en automne pour les pommes et les poires.
Bien sûr, j’évite cette promenade sous les giboulées qui assombrissent intensément l’atmosphère et nécessitent de se protéger fortement. Mais sous l’ensoleillement qui succède à la pluie, le paysage trempé propose des couleurs contrastées.
Dans le bois, l’humus est toujours présent, à chaque œillet dans les arbres, des bourgeons voient le jour pour une future feuille, une future tige qui fera grossir l’arbre. Les feuilles mortes au sol disparaissent pour se transformer en terreau nourricier. Le ruisseau est gonflé par les accumulations de précipitations et se heurte parfois au passage sous le pont en provoquant de belles turbulences.
Parfois, je vois des chevreuils enivrés après s’être gavé de tendres bourgeons.
Sous la pluie, le bois prend une autre apparence, humide. J’entends le chuchotis de la pluie sur la canopée, les gouttes à gouttes déversés au sol par les feuilles gorgées d’eau.
D’autres promeneurs connaisseurs de champignons cueillent les girolles qui pointent dans les sous-bois Ils attendront la fin de l’été pour les cèpes.
*****
Voilà, mon joli bois m’apporte les plaisirs des yeux, des oreilles pour les discours des volatiles, de l’odorat pour toutes les senteurs de chaque période. C’est ainsi que la nature nous apporte un des plaisirs de la vie : se promener, observer, et se sentir intégré par elle.
LA CHUTE DES FEUILLES
L’automne est arrivé.
Avec lui s’engage la transformation du paysage.
Les camaïeux de vert virent mordorés.
Aidées par les bises pré-hivernales,
Les feuilles quittent leurs supports qui ne les nourrissent plus.
Dans leur parcours aérien, elles virevoltent,
Exécutent des loopings,
Puis atterrissent là où le hasard les a conduites.
Elles tapissent le sol d’une moquette dorée.
Et par une dernière transformation,
Humus, elles nourrissent le sol,
Un sol bienheureux de se repaître de cette substance,
Un sol qui l’emmagasine jusqu’au printemps pour la restituer
Aux mêmes arbres qui produiront un nouveau feuillage.
Avec la chute des feuilles, l’écran de verdure disparaît
Au profit d’une forêt de ramures.
Le décor modifié offre une visibilité plus lointaine
Au travers des branches dépouillées
Qui sans leur parure deviennent des tentacules ramifiés.
L’arbre est alors une pieuvre qui tente de s’emparer des nuages,
Et ses branches sont des zébrures comme des éclairs d’orage,
Que le vent agite pour chatouiller le ciel.
Dépouillé du feuillage,
L’espace est libéré pour les circonvolutions des volatiles
A la recherche de perchoirs branchus
Offrant davantage d’accueil pour s’y poser.
Aux frimas poudreux, les branches blêmissent d’une ouate neigeuse,
Ou supportent le givre pesant orné de stalactites,
Irisées par le soleil telles des diamants.
L’absence des feuilles sonne le repos de l’arbre
Qui hiverne pour renaître au printemps,
Plein de sève nourricière circulant vers les bourgeons
Qui écloront en feuilles ou en fleurs,
Source de fruits et d’ombre…
En attendant la prochaine chute des feuilles.
DANS LA SALLE D’ATTENTE
Dans la salle d’attente d’un hôpital,
J’attends…
Je croise et décroise les jambes,
Je pose mes coudes sur les genoux, buste en avant,
Puis je m’étends contre le dossier de la chaise,
Je regarde les autres patients,
Je regarde dans le vide,
Je souffle d’impatience,
Je hoche au regard questionneur d’un autre patient,
J’espère à chaque passage du personnel,
Je désespère de leur indifférence,
Je consulte mon dossier,
J’évite le regard du probable bavard,
Je me déplace d’un siège,
Je fouille et refouille dans mes poches,
Je lis mes messages,
Je rotationne sur le siège,
Je tousse,
Je salue le nouvel arrivant,
J’ai soif,
Je sors mes clés, les regarde, puis les rentre dans mes poches,
Je recroise et redécroise mes jambes,
Je remets mon dossier en ordre,
Je lis les affiches de loin,
Je me racle la gorge,
Je reconsulte mon dossier,
Je m’énerve,
Je m’endors,
Je relis mes messages,
Je me lève pour lire les affichages de près,
Je me rassoie,
J’évalue le retard,
J’envoie un sms,
Encore un,
Et encore un autre.
Dans la salle d’attente
Il règne un silence d’impatience.
Je suis un patient qui patiente.
J’attends,
J’attends,
J’attends…
DE MON SALON
De mon salon,
Je vois les lumières de Noël scintiller dans la rue.
Elles arborent toutes les couleurs du moment :
Rouges, dorées, blanches, vertes.
J'entends les chants diffusés par les hauts parleurs.
J'observe les passants chargés de sacs,
Chaudement habillés.
Les uns entrent dans les magasins,
Les cabas vides et le portefeuille garni.
Les autres en sortent,
Les sacs pleins de paquets multicolores
Et la bourse allégée.
Ils marchent vite pour combattre le froid,
Ou pour satisfaire toutes leurs envies,
Heureux du bonheur d'ensuite offrir leurs cadeaux
A leur moitié, leurs enfants, leurs parents, leurs amis.
La nuit tombe vite à cette période et ne les ralentit pas.
Les magasins ferment tard
Pour assouvir les derniers besoins
De ces généreux donateurs.
Des sapins coupés se baladent dans leurs bras,
Tels des zombies loin de leurs terres.
Qu’ils se rassurent, ils seront embellis
Par des boules et des guirlandes,
Bien au chaud ; trop au chaud
Dans des intérieurs douillets.
Le monde à l’envers :
Les sapins préférant le froid,
Et moi souhaitant en vain la chaleur dans mon salon
Sous le porche d’un immeuble …
KOMOREBI
Allongé dans l’ombre d’un chêne,
Le regard vers le ciel pur,
J’observe le feuillage filtrer la lumière.
« Komorebi » dit-on au Japon.
L’ombre et les jours dansent subtilement
Au rythme chaloupé du branchage
Bercé par un souffle léger.
Alors, s’offre à moi une chorégraphie aléatoire
Tel un kaléidoscope de verts et d’azurs
Irisés par les reflets du soleil.
La canopée, ainsi œuvre d’art en mouvement,
Bruissant sans cesse
Dans ce spectacle de clair-obscur,
Contraste la lumière perçant en rais
Avec l’ombre chinoise de la frondaison :
La chaleur du soleil s’oppose
A la froide noirceur de l’opacité.
Il en va de même de la vie
Où la lumière est parfois obscurcie
Par une masse d’ombre enveloppante.
Mais de temps à autre, il est possible de jouir
D’un souffle étranger
Ouvrant alors le chenal de la lumière.
Ainsi, l’œil doit toujours être maintenu tendu
Pour jouir d’occasions opportunes.
« Komorebi ».
TERANGA
Tu n’as pas la même couleur de peau.
Ta religion est différente.
Tes coutumes sont autres.
Je ne comprends pas ta langue maternelle.
Teranga, dit le sénégalais en wolof : bienvenue.
Je veux que tu me saches hospitalier.
Je veux que tu pratiques notre langue pour échanger.
Je veux qu’on se sente solidaires l’un envers l’autre.
Je veux que ce brassage partage nos cultures.
Parce que
Nous sommes hétérogènes sur un sol commun aux lois communes.
Et que nos différences nous interpellent.
Alors
Nous nous ouvrons l’un à l’autre.
Nous échangeons nos histoires.
Nous devenons plus riches de nos savoirs communs.
Nous nous embrassons malgré l’opposition de nos ancêtres.
Nous sommes une arme de construction massive.
Teranga
BULBE, JE RENAIS
Je suis enfoui dans le sol.
Il fait froid, très froid.
J’y reste tapi, attendant le redoux.
Autour de moi, une substance prochainement nourricière.
…
Enfin, mon environnement tiédit.
Je me sens gonfler.
Des germes s’étendent depuis mon corps.
D’abord vers le dessous.
Ils me nourrissent de substances qu’ils ont puisées dans le sol.
Je me fortifie.
Une envie de m’aventurer par le dessus me prend.
Je déploie un périscope qui perce la surface
Et pointe le bout de son nez à l’air libre.
Aux alentours, j’aperçois une grande étendue.
Je fais grandir mon périscope encore plus haut,
Toujours plus haut.
Des bourgeons s’y installent.
Des feuilles en sortent
D’abord fripées puis lisses.
Elles apprécient le soleil et la pluie ;
Elles en tirent l’énergie et l’eau.
Elles sont ma bouche.
Par endroit, des épines apparaissent.
Elle vont probablement me protéger.
Serai-je donc fragile ?
Puis un jour, un bourgeon différent apparaît.
Il forcit, s’ovalise puis décide de s’ouvrir.
Un rouge émerge, sortant de sa robe verte.
La corolle se déploie lentement.
L’incarnat de plus en plus présent
Devient mon attrait suprême.
Me voilà donc vaniteux
De mes pétales soyeuses, tendres et fragiles,
Et de cette fragrance sensuelle.
Ma coquetterie attire le regard,
Amplifiée par la rosée.
L’enchevêtrement des pétales, travail de précision,
Eblouit mes admirateurs.
Alors, après la froidure de l’hiver,
Me voilà encore la reine
De cette renaissance de la vie.
Profitez ainsi de mes atours,
Messages d’amour.
LA BRINDILLE
J’étais programmée pour porter un feuillage. Mais le sort en décida autrement : j’étais devenue une branche morte qu’un renard a bousculé en frôlant le buisson qui m’avait fait naître.
Tombée au sol, je fus recueillie par une pie qui me considéra de taille idoine pour participer à la construction de son nid. Mais terrorisée par le bruit incongru d’une pétoire, ma porteuse hurla sa peur. Je fis alors une chute qui aboutit dans le lit d’un ru sourdant des entrailles de la terre.
Je quittais la fraîcheur de l’air pour la froideur de l’eau.
La fouge tumultueuse du ruisseau remplaçait le vol souple de ma porteuse.
Je ne sentais plus la morsure du bec, mais les chocs sur les galets.
Les tourbillons du flot me barataient.
Parfois des herbes me retenaient un instant et la force du courant m’en arrachait.
Des avancées souples où je nageais en surface alternaient aux vifs tourbillons qui me submergeaient.
Les virages brusques agitaient l’onde et bouleversaient mon parcours.
Parfois, des obstacles freinaient l’écoulement, produisant une cascade aquatique, et pour moi une cabriole s’achevant dans un bouillonnement où je prenais la tasse.
Le lit s’élargissait de plus en plus. Il se fondait dans d’autres , puis dans d’autres, puis dans d’autres encore.
Progressivement, j’étais de moins en moins seule. Quelque unes plus frêles, d’autres plus grosses et en nombre. De véritables troncs paradaient, stoïques aux remous du flot.
Des bouteilles vides, des sachets et d’autres corps étrangers me précédaient ou me poursuivaient.
Des poissons m’évitaient, des kayaks me percutaient.
Une grande frayeur m’envahit au passage d’un barrage où les pales de turbines me frôlèrent avec une extraordinaire célérité.
Puis des péniches et des bateaux me dépassaient ou me croisaient.
Après le ru, puis la rivière, je naviguais désormais sur un fleuve.
Une écluse me proposait de patienter avant l’ouverture des portes.
Je traversais des villes et des bourgades qui puaient la cité.
D’énormes bateaux relâchaient parfois des effluves poisseux.
Le débit s’accroissait progressivement vers un énorme élargissement aux portes de la mer, environnement salé et houleux.
De marinier, je devenais vaisseau fantôme errant sans fin dans l’immensité marine au gré des vents et des courants.